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Michel Jourdan

KRISHNAMURTI
ET LE YOGA DE L’ATTENTION

Extrait du n° 37 de la revue Info-Yoga (Avril-Mai 2002).


Michel Jourdan est un ermite français. A propos de son texte il précise :
“ Je suis conscient que krishnamurti serait horrifié des rapprochements
et termes employés dans ce texte et je n'en excuse. ”


IL y a un solitaire qui marche dans les collines et qui nous dit : l'observation n'est pas du temps, quand nous observons avec une grande patience, les gouttes sur les feuilles, les abeilles, les fleurs, les fourmis, alors le temps s'arrête… (Dernier Journal p. 85).

(Nisargadatta : l'essence même de la méditation est de ne plus avoir rien de commun avec le temps.)

Il a le temps de marcher et d'observer :

« Quand on regarde attentivement il n'y a rien à apprendre » (Dernier Journal p. 85). Il lui semble que toute la nature communie avec l'observateur, et qu'en regardant il ne regarde rien, et que ce rien contient toutes choses. C'est un yoga de l'attention (même s'il n'aime pas utiliser ce mot).

« L'observation faite d'attention consciente, de compassion possède sa propre intelligence » (Dernier Journal).

« Marcher sans pensée ni sentiment, marcher en observant pour le seul fait de voir que celui qui perçoit est le perçu ». Dans la pure conscience, dans la pure observation, il n'y a plus d'observateur, ni d'observé, il y a non-dualité, conscience pure, non colorée.

« Tout observer, au cours de longues marches » dit-il souvent. Il refuse les écritures de l'Inde, son pays, mais pourtant, comme le Yoga-Vasishtha, il pourrait dire :

« Vis dans l'instant. Avec ta conscience tournée vers ce qui l'entoure, mais sans effort. Quand le mental cesse de se rattacher au passé et de se projeter dans le futur, il devient non-mental (vacuité). Si d'instant en instant ton mental s'appuie sur ce qui est et abandonne tout effort, il devient non mental, tout de pureté. » Yoga Vasishtha Trad P. Mandala. éditions Accarias-L'Original.

Quand il y a attention totale, il n'y a plus d'ego. C'est l'inattention qui crée l'ego, un centre qui réagit. Dans l'observation, il n'y a pas de haine, puisqu'il n'y a plus d'ego, ni de temps et « ce qui n'est pas du temps ne peut se mesurer par des mots ». Dans cette attention, qui brille encore plus que la lumière du jour, ce solitaire toujours dans les collines, nous dit que nous sommes des hôtes sur cette terre, avec l'austérité que cela implique. Assis en contemplation, la perception intemporelle de l'existant est la seule perception que l'on peut affirmer. « Loin du bruit et de la vulgarité de la civilisation en marchant sur un chemin boisé, isolé… » Lorsque l'on est assis seul dans le calme, on peut observer et cette observation pure, libre de toute pensée, de tout sentiment, comme l'observation d'un vol d'oiseaux, « donne un sentiment d'austérité extraordinaire ». Pour ce solitaire assis en silence, loin de tout, « en regardant le ciel, vous sentez la terre entière, la pureté, la beauté de tout ce qui vit et bouge à l'exception de l'homme. » (Dernier Journal)

Dans la quiétude de l'esprit, il n'y a plus rien de construit par la pensée. « N'être absolument rien, c'est être hors des limites de la mesure » (Journal) et l'attention mène à cet état de silence « Être seul, sans paroles ni pensées, en se contentant de regarder et d'écouter. La profondeur du silence apportait la preuve que, hors de cette solitude, l'existence est dénuée de sens profond et de beauté » (Journal). Pour la tradition de l'inde, c'est l'isolement libérateur (Kaivalya).

Toutes ces marches solitaires dans la lumière de l'attention témoignent que « la conscience attentive est la joie elle même » (Chandra Swami). L'austérité et la solitude font découvrir cette « joie sans objet » de la conscience pure.

Quand on est attentif dans une conscience sans choix, alors, dans cet état, survient la vision pénétrante, l'insight. Ce n'est pas une action du souvenir, une poursuite de la mémoire. C'est comme un éclair de lumière (Dernier Journal p. 87). Cet insight se situe à l'extérieur du cerveau, si l'on peut s'exprimer ainsi (Dernier Journal p. 88).

« L'insight, est-il la conscience pure, indépendante du cerveau, qui seule peut apaiser le cerveau ? La perception directe, c'est l'insight qui transforme les cellules du cerveau » (La Flamme de l'attention). Comme la conscience pure qui est apaisement, l'insight calme le cerveau : « si l'on est attentif, sans laisser filer la moindre image, le cerveau devient très calme. On peut alors regarder dans un grand silence, et ce silence possède une profondeur immense, une beauté durable et incorruptible » (Dernier Journal p. 139).

(Saint Jean de la Croix ne disait-il pas : « dans la mesure où l'âme reçoit cette musique sonore, dans la solitude et l'éloignement de toutes les choses extérieures, elle s'appelle musique silencieuse et solitude sonore. » — Les cantiques spirituels)

Oui, le promeneur solitaire dans les collines l'affirme « seul l'esprit silencieux, l'esprit qui est libre peut découvrir ce qui est au-delà du temps » (La Flamme de l'attention).

Être à soi-même sa propre lumière » n'est peut-être rien d'autre qu'être la conscience pure (et non le cerveau et son système nerveux central qui est le vital d'Aurobindo ou le limbique de C. Boiron.)

« l'esprit est différent du cerveau, en fait, l'esprit se tient à l'extérieur du cerveau » (Ultime Parole p. 116)

« Il n'y a que cet esprit silencieux qui est libre et non tributaire du cerveau et de son système nerveux central, qui peut découvrir ce qui est au-delà du temps ». Ce qui est le propre de la méditation : découvrir la relation de la pensée (du cerveau) et du silence ; la relation de cette pensée cérébrale avec ce qui est hors du temps. Car la pensée cérébrale, c'est le temps, c'est le bruit. « L'esprit doit être totalement libre ; ce qui signifie que l'on doit être totalement seul, mais nous avons très peur d'être seul. » (La Flamme de l'attention) La méditation c'est le silence, c'est ce qui est . « Être seul au coeur de cette solitude permettait d'entendre la voix du silence dans son intensité, dans son extrême beauté. Le silence est solitude et la solitude est silence. La méditation, c'est découvrir ce qui est sans mesure: Il s'agit de vivre sans comparaison, sans une aune de la mesure intérieure (…). La méditation ne doit pas comporter de mesure (…) (le mot mesure d'après David Bohm, a pour origine le mot sanskrit matra proche du grec metron, et le mot sanskrit maya qui a la même racine, signifie illusion. Et D. Bohm de conclure, de façon très juste, que pour l'occident la réalité est tout ce qui est mesurable, et c'est le non mesurable qui est la réalité suprême et en même temps la réalité de tous les phénomènes, ce qui explique le saguna brahman et le nirguna brahman…

« On médite en marchant et en observant, aussi bien qu'assis et immobile, marcher sans aucun sentiment, sans émotion, regarder les arbres et toute la terre » (Dernier Journal)

(Si vous pouvez aussi pratiquer la contemplation en marchant, ne serait-ce qu'un quart d'heure, vous obtiendrez le même résultat qu'en pratiquant la méditation dans votre chambre pendant deux ou trois heures d'affilée. Swami Lakshman Ji.)

« Soudain, tandis que vous vous promeniez seul, l'esprit libre de toute pensée, vous contentant d'observer sans la présence de l'observateur en vous, vous avez pris conscience du sacré, un sacré que la pensée, dans son essence même, est incapable de concevoir. Vous faites halte, voue regardez les arbres, les oiseaux et les passants. Cela n'est pas une illusion, ni quelque chose grâce à quoi l'esprit peut se leurrer. Cela se trouve dans vos yeux, au plus profond de votre être, partout en vous. La couleur du papillon est le papillon. » (Journal)

Regarder ainsi sans réaction, dans une totale attention aux choses quotidiennes, à l'instant présent concret, ni virtuel ni dénaturé, c'est vraiment la possibilité de mettre fin au temps et à la pensée : « quand on apprend attentivement, assidûment, il n'y a rien à apprendre, il n'y a que cet espace, cet immense espace, le silence et le vide, l'énergie dévorante. » (Dernier Journal)

Marcher dans une observation qui n'a pas de centre, pas d'observateur. Dans l'absence du « moi », la seule réalité pour le marcheur est le paysage des collines. Non, l'observation n'est pas l'analyse, ni l'interprétation de la pensée discursive. Être complètement attentif, car c'est l'attention qui empêche tout enregistrement, toute empreinte et rend possible la clarté.

« Pour permettre à ce qui est éternel d'exister » (La Flamme de l'attention). Être seul en marchant, que l'on soit seul ou accompagné, c'est quand le mouvement de la pensée n'intervient pas. C'est ainsi qu'il peut être aussi vraiment seul et dire encore :

« Il est bon d'être seul. Être loin du monde tout en parcourant ses chemins, c'est être seul » Et il note, personne à qui parler et l'esprit n'est pas agité par de vains bavardages…

Michel JOURDAN.

J'ai interviewé Krishnamurti à Brockwood, il y a quelques années pour France Culture. A l'époque je ne connaissais pas K, je l'avais juste vu en photo. Je savais qu'il n'était pas un “gourou barbu”. Il avait des cheveux très blancs et un visage presque féminin qui changeait d'expression tout le temps, un regard d'ambre, un corps mince. Il n'y avait pas, en lui, d'opposition, mais un vide merveilleux, sans lutte, sans volonté de pouvoir. Il m'a intimidé — moi qui suis tout sauf timide — parce qu'il ne s'opposait pas, il ne s'offrait pas en adversaire, il n'offrait aucune faille, je ne savais comment l'entamer. Je mets en route le magnétophone, les questions avaient été écrites par Michel Cazenave.

K. dans la crise du monde moderne que peut-on faire, que pouvez vous nous dire ?

Oui, Madame, que pouvons nous faire ? Et il me regarde… Il me renvoyait ma question sans la moindre moquerie. Je lui ai reposé la question et il m'a répondu :

Que pensez-vous Madame ? Que peut-on faire ? J'ai dit : Moi je ne pense rien, je suis là pour vous interroger, non pour donner une opinion. K. me dit alors : Voulez-vous dire Madame, que, comme personne, vous n'avez pas cette question à poser, mais que vous la posez comme journaliste ?

J'ai dit : Oui, c'est cela.

Il demande alors à un de mes assistants : Pouvez-vous apporter une autre chaise ! Et me dit pouvez-vous asseoir la journaliste sur cette chaise et vous restez avec moi !

J'ai demandez à K. : Comment puis-je vous poser la question ?

Il m'a répondu : En me disant ce que vous vous pensez.

Je lui ai dit alors.

Bien ! a-t-il dit, maintenant je peux vous répondre, parce que France Culture ne m'intéresse pas, ce qui m'intéresse est de répondre à une personne. Lorsque vous aurez trouvé la vérité vous pourrez la diffuser autour de vous, mais pas avant.

—Chalaï.


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