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SOMMAIRE

L'observateur et l'observé

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VOUS ET LE NÉANT NE FAITES QU'UN

VOUS n'êtes rien. Vous avez beau avoir un nom, un titre, des biens, un compte en banque, le pouvoir, la célébrité, tous ces écrans protecteurs ne vous empêchent pas de n'être rien. Vous pouvez n'avoir aucune conscience de ce vide, de ce néant, ou vous pouvez simplement ne pas vouloir en prendre conscience; mais, quoi que vous fassiez pour lui échapper, il est là. Vous pouvez essayer de fuir cela par mille subterfuges, par la violence individuelle ou collective, par l'étude ou les plaisirs, mais que vous dormiez ou soyez éveillés, il est toujours là. Vous ne pouvez entrer en contact avec ce néant et sa peur qu'en prenant conscience, lucidement et sans choix, de tous les subterfuges que vous utilisez pour le fuir. Vous n'êtes pas relié à ce néant comme une entité distincte, séparée; vous n'êtes pas l'observateur qui le scrute; sans vous — le sujet pensant, l'observateur —, il n'est pas. Vous et le néant ne faites qu'un; vous et le néant constituez un unique phénomène, et non deux processus distincts. Si vous, le sujet pensant, avez peur de lui et vous approchez de lui comme d'une chose hostile, tout ce que vous pourrez entreprendre dans sa direction conduira inévitablement à l'illusion et à de nouveaux conflits et à d'autres souffrances. Lorsqu'il y a découverte, la révélation de ce néant qui est vous, alors la peur — qui n'existe que lorsque le penseur est distinct de ses pensées et essaye ainsi d'établir des relations avec elles — tombe et disparaît complètement.

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COMMENT EN FINIR AVEC LA PEUR ?

NOUS débattons ici d'une question qui suppose que vous soyez attentifs, et non en accord ou en désaccord. Il faut aborder la vie avec le maximum de rigueur, d'objectivité, de lucidité — pas en fonction de nos sentiments, de nos envies, de ce qui nous plaît ou ne nous plaît pas. C'est ce qui nous plaît et nous déplaît qui est à l'origine de toute cette souffrance.

Et nous ne savons que dire : « Comment faire pour mettre fin à la peur ? » C'est un de nos grands problèmes — en effet, tout homme qui est incapable d'y mettre fin vivra dans les ténèbres éternelles —, pas au sens chrétien du terme, mais au sens usuel — l'éternité d'une vie, c'est déjà suffisant. Pour moi, en tant qu'être humain, il doit y avoir une autre issue que celle de susciter en moi l'espérance d'un avenir. Puis-je, en tant qu'être humain, mettre fin à la peur, de manière absolue, et non par petits bouts ? Vous ne vous êtes probablement jamais posé la question, sans doute parce que vous ne savez pas comment sortir de cette situation. Mais si vous la posiez avec le plus grand sérieux, non pas en voulant qu'on vous dise comment faire pour y mettre fin, mais en cherchant plutôt à en comprendre la nature, les mécanismes, vous verriez alors que, dès que vous avez découvert ce qu'il en est, la peur tombe instantanément, d'elle-même, sans que vous ayez rien à faire.

Lorsque nous la percevons et que nous entrons en contact direct avec elle, l'observateur est ce qu'il observe. Il n'y a plus de différence entre l'observateur et la chose observée. C'est quand la peur est observée sans l'observateur que naît une action — qui n'est pas celle de l'observateur agissant sur la peur.

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LA DUALITÉ ENTRE PENSEUR ET PENSÉE

QUAND vous observez quelque chose — un arbre, votre femme, vos enfants, votre voisin, les étoiles au coeur de la nuit, la lumière jouant sur l'eau, l'oiseau dans le ciel ou quoi que ce soit d'autre —, il y a toujours d'une part l'observateur, le censeur, le penseur, celui qui vit l'expérience, celui qui cherche, et de l'autre la chose qu'il observe; l'observateur et l'objet observé; le penseur et la pensée. Il y a donc toujours une division. C'est cette division qui constitue le temps. Cette division est l'essence même du conflit. Et quand il y a conflit, il y a contradiction. Il y a « l'observateur et l'observé » — c'est-à-dire qu'il y a une contradiction, une séparation. Et là où est la contradiction est aussi le conflit, chaque conflit faisant naître à son tour un besoin impérieux de dépasser le conflit, de le vaincre, de l'éviter, d'agir sur lui, et toute cette activité implique le temps… Tant qu'il y aura division, le temps continuera, et le temps, c'est la souffrance.

Tout homme qui veut comprendre la fin de la souffrance doit comprendre cela, doit le découvrir, doit aller au-delà de cette dualité entre le penseur et la pensée, entre le sujet et l'objet de l'expérience. Autrement dit, lorsqu'il y a division entre l'observateur et l'objet observé, le temps intervient, et la souffrance n'en finit donc jamais. Que faire, alors ? Comprenez-vous la question ? Je vois, présent en moi, l'observateur, toujours là à épier, juger, censurer, accepter, rejeter, discipliner, contrôler, modeler. Cet observateur, ce penseur, est le résultat de la pensée; c'est une évidence. C'est la pensée qui vient en premier, pas l'observateur, le penseur. S'il n'y avait pas du tout de pensée, il n'y aurait pas d'observateur, pas de penseur, il n'y aurait qu'une attention parfaite, absolue.

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C'EST LA PENSÉE QUI CRÉE LE PENSEUR

LA pensée est la sensation mise en mots; la pensée, c'est la réponse de la mémoire, c'est le mot, l'expérience, l'image. La pensée est transitoire, changeante, elle n'est pas permanente, et elle recherche la permanence. C'est pourquoi la pensée a créé le penseur, qui devient alors le symbole de la permanence. Il prend le rôle du censeur, du guide, du contrôleur, de celui qui façonne la pensée. Cette entité illusoire est le produit de la pensée, du transitoire. Cette entité est la pensée; sans la pensée, elle n'existerait pas. Le penseur est constitué de qualités distinctives qui sont inséparables de lui-même. Celui qui contrôle n'est pas différent de ce qu'il contrôle; il triche dans le jeu qu'il se joue à lui-même. Tant que le faux n'est pas perçu en tant que faux, la vérité ne peut pas être.

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UN MUR DE PENSÉE INEXPUGNABLE

COMMENT peut-il y avoir fusion entre le penseur et ses idées ? Cela ne peut pas avoir lieu par l'action de la volonté, ni par la discipline, ni par l'effort sous quelque forme que ce soit, ni par la maîtrise ou la concentration, ni par rien de semblable. L'utilisation d'un moyen implique qu'un agent l'accomplisse, n'est-ce pas ? Et aussi longtemps qu'il y aura un acteur, il y aura division. La fusion ne peut avoir lieu qu'à partir du moment où l'esprit est parfaitement immobile sans avoir essayé de l'être. Et cette immobilité vient non pas quand le penseur n'existe plus, mais quand la pensée elle-même n'existe plus. Il faut se libérer de la réponse du conditionnement, c'est-à-dire de la pensée. Un problème est résolu quand l'idée, la conclusion ont cessé d'être. La conclusion, l'idée, la pensée sont agitation de l'esprit. Comment pourrait-il y avoir compréhension lorsque l'esprit est agité ? Le sérieux doit être tempéré par la promptitude de la spontanéité. Vous découvrirez, si vous avez entendu ce qui a été dit, que la vérité apparaît lorsque vous ne l'attendez pas. Si je peux me permettre de vous le conseiller, soyez ouvert, sensible, ayez une conscience totale de ce qui est d'un moment à l'autre. Ne vous entourez pas d'un mur de pensée inexpugnable. La félicité de la vérité apparaît lorsque l'esprit n'est pas aux prises avec ses propres activités et ses luttes.

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QUAND L'OBSERVATEUR EST L'OBJET OBSERVÉ

L'ESPACE est une nécessité. Sans espace, pas de liberté — psychologiquement parlant… Ce n'est que lorsqu'il y a contact, lorsqu'il n'y a pas le moindre espace entre l'observateur et ce qu'il observe, que notre relation — avec un arbre, par exemple — est totale. Il ne s'agit pas de s'identifier à l'arbre — ou à la fleur, à tel homme, telle femme, ou que sais-je encore; mais lorsqu'il n'y a absolument plus la moindre distance entre observateur et objet observé, alors s'ouvre un immense espace. Un espace où il n'y a pas de conflit; et dans cet espace est la liberté.

La liberté n'est pas une réaction. On ne peut pas dire : « D'ailleurs, je suis libre ! » Dès l'instant où vous vous déclarez libre, c'est que vous ne l'êtes pas, parce que vous avez conscience d'être libre par rapport à quelque chose, vous êtes donc dans la même situation que l'observateur qui observe l'arbre. L'observateur a créé une distance et, dans cet espace, il permet au conflit de prendre corps. Ce qu'il faut pour comprendre tout cela, ce n'est ni manifester une approbation ou un désaccord intellectuels, ni dire : « Je ne comprends pas », mais entrer en contact direct avec ce qui est. C'est-à-dire voir que toutes nos actions, et chaque instant d'une action, procèdent du rapport observateur-observé, et que, dans l'espace qui sépare l'un de l'autre, il y a le plaisir, la douleur et la souffrance, le désir de réalisation, la soif de célébrité. Au sein de cet espace-là, aucun contact avec quoi que ce soit n'est possible. Mais le contact, la relation, prend une tout autre signification dès que l'observateur n'est plus séparé de ce qu'il observe. Alors s'ouvre cet autre espace fabuleux, et alors est la liberté.

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CELUI QUI OBSERVE LA SOLITUDE EXISTE-T-IL VRAIMENT ?

MON esprit observe la solitude; il l'évite, il la fuit. Mais si je cesse de la fuir, y a-t-il une division, y a-t-il une séparation, existe-t-il encore un observateur qui examine la solitude ? Ou n'y a-t-il plus qu'un état de solitude, mon esprit lui-même étant vide et seul — là où il y avait un observateur conscient de la présence de la solitude ? Je crois qu'il est capital de saisir cela au vol, sans trop s'attarder sur les mots. Quand nous disons par exemple : « Je suis envieux, je veux me débarrasser de mon envie », il y a alors un observateur et un phénomène observé; l'observateur souhaite se débarrasser de ce qu'il observe. Or, l'observateur et l'observé ne sont-ils pas une seule et même chose ? C'est l'esprit lui-même qui a suscité cette envie, il lui est donc impossible d'agir sur elle. Mon esprit observe donc la solitude; le penseur a conscience de sa solitude. Mais s'il demeure avec elle, en un contact total, sans la fuir, sans la traduire, et ainsi de suite, existe-t-il encore à ce moment-là une différence entre l'observateur et l'observé ? Ou n'y a-t-il plus comme unique fait que la réalité du vide et de la solitude de l'esprit ? L'esprit a cessé d'observer le vide dans lequel il se trouve : il est lui-même ce vide. L'esprit peut-il donc, ayant pris conscience de sa vacuité comme d'un fait, et voyant que, quels que soient ses efforts, tout mouvement de recul face à cette vacuité n'est qu'une évasion, une dépendance — l'esprit peut-il donc se défaire de toute dépendance, et être ce qu'il est, complètement vide, complètement seul ? Et s'il est dans cet état-là, n'est-on pas délivré de toute dépendance, de tout attachement ?

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ACCUMULATION ET VÉRITÉ

AUSSI longtemps que celui qui expérimente se souvient de l'expérience, la vérité n'est pas. Car la vérité n'est pas quelque chose dont on se souvient, qu'on emmagasine, qu'on enregistre et qu'on reproduit ensuite. Ce qui s'accumule n'est pas la vérité. C'est le désir de faire l'expérience qui crée l'expérimentateur, qui à son tour accumule et se souvient. Le désir suscite la séparation entre le penseur et sa pensée; le désir de devenir, d'expérimenter, d'être plus ou d'être moins, suscite la division entre l'expérience et celui qui la fait. La prise de conscience de cette conséquence du désir est la connaissance de soi. Et la connaissance de soi est le commencement de la méditation.


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