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FONDATION KRISHNAMURTI

BULLETIN

N° 5 - PDF HIVER 1970


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LE JARDIN


par J. KRISHNAMURTI.


C'ÉTAIT un très grand jardin de plusieurs hectares, sur les bords d'une ville, s'étalant en vastes banlieues. On y voyait d'immenses arbres et des ombres profondes — des tamaris, des manguiers, des palmiers et des arbres en fleurs. De la couleur partout et un étang recouvert de nénuphars. Récemment venus de leur pépinière, de jeunes plants deviendraient des arbres immenses dominant tout le jardin. Celui-ci était entouré de barbelés brisés et il fallait sans cesse en chasser les chèvres vagabondes et même par moment, une ou deux vaches.

La maison était vaste, pas particulièrement commode et la chambre surplombait une pelouse qu'il fallait arroser deux fois par jour, car le soleil était trop ardent pour l'herbe tendre. Et puis, il y avait toujours les oiseaux — les perroquets, les minahs, les passereaux, les corbeaux et un grand oiseau tacheté, muni d'une longue queue, qui avait pris l'habitude de venir picorer les baies, et un autre oiseau d'un jaune très vif qui parcourait les feuillages comme un éclair.

Le silence régnait dans ce jardin, mais tous les matins vers quatre heures et demie, il y avait des chants, des radios hurlant de l'autre côté du fleuve et des bribes de chants Sanskrit — car c'était un mois de fêtes. Les chants étaient beaux, mais toute le reste de la musique était plutôt éprouvant. Un après-midi, à quelque centaine de yards, dans un quartier pauvre, on jouait de la musique de cinéma sur un gramophone, le bouton du son étant tourné au maximum. Ceci continua jusqu'au soir et atteignit son apogée vers 21 heures.

Il y avait un rassemblement politique, des lumières aux murs flamboyaient et un orateur pérorait. Il paraissait leur promettre les choses les plus extravagantes; mais il était aussi inconstant que son auditoire qui voterait selon sa fantaisie du moment. Vraiment c'était un divertissement, il dura pendant plusieurs heures.

A l'aube, la musique religieuse retentirait à nouveau; on pouvait voir la Croix du Sud au-dessus des palmiers; et le silence régnait sur la terre.

Le politicien recherchait la puissance pour son parti, mais à travers lui-même. Le désir de dominer, de contraindre et de se faire obéir, paraît faire partie de l'homme. Ceci, on peut le voir chez le petit enfant et chez le soi-disant homme mûr — avec toute sa subtilité, sa cruauté et sa laideur. Les dictateurs, les prêtres, le chef de famille, que ce soit l'homme ou la femme, paraissent exiger cette obéissance. Ils prennent sur eux cette autorité qu'ils ont usurpée ou qui leur a été donnée par la tradition, ou encore parce qu'ils se trouvent être les plus âgés. On voit ce tracé se répéter partout.

Posséder et être possédé, c'est acquiescer à cette structure de puissance. Ce désir de puissance, de prestige, de situation sociale, est encouragé dès l'enfance par la comparaison et l'évaluation. De là jaillissent le conflit, la lutte pour aboutir, pour réussir, pour s'accomplir. Et l'homme qui se présente témoignant d'un grand respect fait preuve de manque de respect pour les autres. L'homme d'affaires dans sa grosse voiture reçoit des témoignages de respect et à son tour en a pour la voiture plus grande, la plus grande maison et les plus gros revenus.

Le même dessin prévaut dans la structure religieuse ecclésiastique et même dans la hiérarchie des Dieux. Les révolutions essayent de briser ces forces, mais le même modèle se fait jour et se répète avec la domination des dictateurs. Une sorte d'humilité ostentatoire vient enlaidir cette façon de vivre.

Toute obéissance est violence, et l'humilité vraie est sans rapport avec la violence. Pourquoi un être humain ressentirait-il cette peur, ce respect et cet irrespect? Il a peur de la vie avec toutes ses incertitudes et ses anxiétés, et il a peur des Dieux nés de son propre mental. C'est cette peur qui conduit à la puissance et à l'agressivité.

L'intellect a conscience de cette peur mais reste inerte à son égard construisant ainsi une société, une église, où cette peur est nourrie, maintenue, avec son escorte d'évasions. La peur ne peut pas être vaincue par la pensée parce que c'est elle qui l'a engendrée. Ce n'est que quand la pensée est silencieuse qu'il y a une possibilité pour la peur de prendre fin. L'homme qui exerce la puissance, qui est compétitif, est très évidemment sans amour, même s'il a une famille et des enfants qu'il prétend aimer.

Véritablement, c'est un monde de grande souffrance, et pour aimer, il faut être un outsider. Etre un outsider, c'est être seul, c'est n'être engagé à rien.

J. Krishnamurti
(Traduit de l'anglais.)

Copyright © Krishnamurti Foundation, London, 1970


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