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SOMMAIRE

J. Krishnamurti

L’IMPORTANCE DU CHANGEMENT

— Commentaires sur la vie, vol. III —


Chapitre 31  

LES grosses fourmis noires suivaient un chemin qui passait entre les herbes, traversait une étendue de sable, escaladait un tas de moellons et pénétrait par une crevasse dans un vieux mur. La fourmilière était derrière le mur. Il y avait un extraordinaire va-et-vient sur ce chemin, un remue-ménage incessant dans les deux sens. Chaque fourmi hésitait une seconde avant d'en croiser une autre, leurs têtes se touchaient et chacune reprenait sa route. Il devait y avoir des milliers de fourmis qui ne désertaient ce chemin que lorsque le soleil était au zénith et concentraient alors toutes leurs activités autour de la fourmilière derrière le mur. Elles se mettaient à creuser, chaque fourmi retirant un grain de sable, un petit caillou ou un peu de terre. Si vous frappiez doucement sur le sol alentour, cela provoquait une bousculade générale. Elles sortaient de leur trou, cherchant l'assaillant, puis elles se calmaient rapidement et reprenaient leur travail. Dès que le soleil était à l'ouest et que le vent du soir envoyait un peu d'air frais des montagnes, elles reprenaient à nouveau leur sentier, envahissant le monde silencieux de l'herbe, du sable et des pierres. Ce chemin s'étendait sur une distance assez considérable, elles le parcouraient en chassant et elles ne manquaient pas de proies: une patte de sauterelle, une grenouille morte, les restes d'un oiseau, un lézard à demi dévoré ou quelques grains de blé. Elles s'attaquaient à tout cela avec furie, et ce qui n'était pas transportable était dévoré sur place ou ramené en petits morceaux. Seule la pluie interrompait leurs incessantes activités et dès qu'était tombée la dernière goutte, elles étaient à nouveau en action. Si vous mettiez le doigt sur leur sentier, elle l'entouraient, l'examinaient et certaines l'escaladaient puis redescendaient.

Le vieux mur avait sa vie propre. Des perroquets d'un vert éclatant, aux becs rouges et courbés, étaient venus faire leurs nids dans des trous en haut de ce mur. Ils étaient craintifs, et n'aimaient pas que vous vous approchiez trop. Poussant des cris perçants et s'accrochant aux vieilles briques effondrées, ils attendaient de voir ce que vous alliez faire. Si vous n'approchiez pas, ils se blottissaient au fond des trous, ne laissant apparaître que les plumes d'un vert pâle de leurs queues, puis ils se tortillaient à nouveau, les plumes disparaissaient et faisaient place à leurs becs rouges et à leurs belles têtes vertes. Ils se préparaient pour la nuit.

Ce mur entourait une très ancienne tombe dont le dôme, sur lequel s'étaient posés les derniers rayons du soleil couchant, resplendissait comme s'il était éclairé de l'intérieur. Ce tombeau était parfaitement construit et de proportions splendides, pas une seule de ses lignes n'aurait pu vous choquer et il se détachait contre le ciel nocturne, semblant s'arracher à la terre. Toutes choses étaient intensément vivantes, et toutes choses - la tombe ancienne, la muraille rouge effondrée, les perroquets verts, les fourmis actives, le sifflet d'un train lointain, le silence et les étoiles - se fondaient dans la totalité de la vie. C'était une bénédiction.

Bien qu'il soit assez tard, ils avaient tenu à venir et nous allâmes tous dans la pièce. Il fallut allumer les lanternes, et dans toute cette hâte l'une fut cassée, mais les deux autres éclairaient suffisamment pour que l'on puisse se voir, après nous être assis en cercle sur le sol. L'un de ceux qui étaient là travaillait dans un quelconque bureau, c'était un petit homme nerveux dont les mains n'étaient jamais au repos. Un autre devait avoir plus d'argent, car il avait un magasin et il avait l'apparence de ceux qui font leur chemin dans la vie. Massivement bâti et assez gras, il riait facilement mais était sérieux ce soir-là. Le troisième visiteur était un vieil homme et le fait d'être à la retraite, expliqua-t-il, lui laissait davantage le temps pour lire les Écritures et faire puja, une cérémonie religieuse. Le quatrième était un artiste aux cheveux longs, qui regardait attentivement tout ce qui se passait, décidé à n'en rien perdre. Il y eut un silence de quelques instants. On pouvait voir, par la fenêtre ouverte, deux ou trois étoiles et le lourd parfum du jasmin embaumait la pièce.

— J'aimerais rester assis tranquillement ainsi pendant longtemps, déclara le commerçant. C'est un véritable bienfait que de percevoir un silence de cette qualité, cela a quelque chose d'apaisant. Mais je ne veux pas perdre de temps à expliquer mes états d'âme actuels, et j'imagine que je ferais mieux de parler de ce qui m'amène. J'ai eu une vie plus laborieuse et acharnée que la plupart des gens ; et bien que je sois loin d'être ce qu'on appelle un homme riche, je suis, comme on dit, à l'aise. Je me suis toujours efforcé d'accorder ma vie à la religion, évitant la cupidité, essayant d'être charitable et de ne pas décevoir les autres. Mais lorsque vous êtes dans le commerce, il peut vous arriver de ne pas dire toute la vérité. J'aurais pu gagner beaucoup plus d'argent, mais je me suis privé de ce plaisir. Mes distractions sont simples, et dans l'ensemble, je mène une vie sérieuse, qui aurait sans doute pu être meilleure mais qui n'a pas non plus été mauvaise. Je suis marié et j'ai deux enfants. Voilà, en bref, mon histoire personnelle. J'ai lu certains de vos écrits et j'ai assisté à quelques conférences, et je suis venu ici pour qu'on me dise comment rendre ma vie plus profondément religieuse. Mais je ne voudrais pas monopoliser l'attention, ces messieurs doivent eux aussi s'exprimer.

— Mon travail n'est qu'une routine lassante, dit l'employé de bureau, mais je ne pourrais faire autre chose.

Mes besoins sont limités et je ne suis pas marié. Mais je dois m'occuper de mes parents et j'ai pris en charge les études de mon jeune frère. Je ne suis absolument pas religieux au sens orthodoxe du terme, mais la vie religieuse m'attire énormément. J'ai souvent la tentation de tout quitter pour devenir sannyasi, mais un certain sens des responsabilités que j'ai envers mes parents et mon frère me fait hésiter. Je médite chaque jour depuis des années et depuis que je vous ai entendu expliquer ce qu'était la véritable méditation, j'ai essayé de l'atteindre. Mais c'est très difficile, pour moi en tous cas, et je ne parviens pas à y réussir. En outre, mon travail au bureau, qui me fait consacrer des journées entières à quelque chose qui ne m'intéresse pas le moins du monde, ne risque pas d'être générateur de pensées élevées. Mais je recherche intensément la vérité, s'il est possible que j'y réussisse, et pendant que je suis encore jeune, je veux changer le cours de ma vie, de la meilleure façon possible. C'est pourquoi je suis venu.

— Quant à moi, dit le vieil homme, je connais relativement bien les Écritures, et depuis que j'ai pris ma retraite de fonctionnaire dans un ministère, il y a plusieurs années, mon temps m'appartient. Je n'ai pas de responsabilités, tous mes enfants se sont mariés, et je suis libre de méditer, de lire et de parler de choses sérieuses quand bon m'en semble. La vie religieuse m'a toujours intéressé. De temps en temps, j'ai été écouter attentivement l'un ou l'autre des Maîtres, mais sans y trouver de satisfaction véritable. Dans certains cas, leur enseignement est parfaitement infantile et dans d'autres, c'est le règne du dogmatisme, de l'orthodoxie ou de la simple explication descriptive. Je suis venu vous écouter dernièrement, et dans l'ensemble je suis convaincu mais il y a certains points sur lesquels je ne suis pas d'accord - ou plutôt que je ne comprends pas. Le fait d'être d'accord, comme vous l'avez dit, se pose par rapport à des opinions, des conclusions, des idées, mais on ne peut pas « être d'accord » sur la vérité: on la perçoit, ou on ne la perçoit pas. Pour être plus précis, j'aimerais que vous m'apportiez quelques éclaircissements sur la façon de mettre fin à la pensée.

— Je suis artiste, mais pas encore ce qu'on appelle un bon artiste, dit l'homme aux cheveux longs. J'espère aller un jour étudier l'art Européen, car ici nos professeurs sont médiocres. Pour moi, la beauté sous toutes ses formes est une expression du réel, et l'un des aspects du divin. Avant de nie mettre à peindre, je médite, comme les anciens, sur la profonde beauté de la vie. J'essaie de remonter à la source de toute beauté et de m'en nourrir, d'entrevoir le sublime, et ce n'est qu'ensuite que je commence ma journée de travail. Parfois cela réussit, mais le plus souvent cela échoue. Aussi fort que je puisse essayer, rien ne se produit et des jours entiers, voire des semaines, sont ainsi perdus. J'ai également tenté de jeûner et de pratiquer divers exercices physiques et mentaux, dans l'espoir de réveiller cet état créateur, mais sans le moindre succès. Tout est secondaire face à ce sentiment de création, sans lequel on n'est pas un véritable artiste, et j'irai jusqu'au bout du monde pour le trouver. C'est la raison de ma présence ici, ce soir.

Nous restâmes assis en silence quelques instants, chacun pris par ses propres pensées.

Vos problèmes sont-ils différents, ou au contraire sont- ils semblables, en dépit d'une apparente différence?

— Je n'ai pas l'impression que mon problème soit semblable en quoi que ce soit à celui de l'artiste, déclara le commerçant. Il cherche l'inspiration, l'état créateur et je veux, moi, mener une vie plus profondément spirituelle.

— Mais c'est ce que je cherche moi aussi, s'exclama le peintre, j'ai simplement exprimé les choses différemment.

Il nous plaît de penser que nous avons des problèmes exclusifs et spécifiques et que nos souffrances diffèrent entièrement de celles d'autrui. Nous voulons rester indépendants à n'importe quel prix. Mais la souffrance est la souffrance, qu'elle soit la vôtre ou la mienne. Si nous ne saisissons pas ce fait dans sa totalité, nous ne pouvons aller plus loin, car nous nous sentirions dupés, déçus et frustrés. Nous sommes tous ici, de toute évidence, en quête de la même chose. Le problème de chacun est fondamentalement le problème de tous. Si nous comprenons cela parfaitement, nous aurons déjà parcouru une longue partie du chemin de notre compréhension, et nous pourrons alors chercher ensemble, nous aider mutuellement, écouter et apprendre les uns des autres. A partir de là, l'autorité du maître est vidée de tout contenu et devient dérisoire. Votre problème est le problème de l'autre, votre souffrance est la souffrance de l'autre. L'amour n'est pas sélectif. Si cela vous semble clair, nous pouvons continuer.

— Je crois que nous avons tous admis que nos problèmes sont étroitement liés, précisa le vieil homme et les autres l'approuvèrent d'un signe de tête.

Quel est donc notre problème commun? Ne répondez pas tout de suite, je vous en prie, réfléchissons d'abord.

Se pourrait-il, messieurs, qu'une radicale transformation intérieure soit nécessaire? Car sans cette transformation, l'inspiration est toujours transitoire et on lutte sans cesse pour la retrouver ; sans cette transformation, toute tentative pour mener une vie spirituelle est seulement superficielle et n'est qu'une affaire de rituels, de cloche et de livres ; sans cette transformation, la méditation devient une forme de fuite, une manière de s'hypnotiser.

— C'est exactement cela, dit le vieil homme. Sans un profond changement intérieur, toute effort en vue d'être plus religieux ou plus spirituel n'est qu'une modification de surface.

— Je vous suis parfaitement, ajouta l'employé de bureau. J'ai vraiment l'impression qu'un changement radical doit avoir lieu en moi, car sinon je continuerai toute ma vie à chercher, à demander et à douter. Mais comment provoquer ce changement?

— Je conçois moi aussi qu'une transformation totale doit se produire en moi si ce que je cherche doit prendre corps, dit l'artiste. Un changement intérieur profond et radical est absolument nécessaire. Mais la question, en effet, est de savoir comment s'y prendre.

Abandonnons-nous, de coeur et d'esprit, à la découverte de la façon dont cela se produit. Ce qui prime, à l'évidence, c'est de ressentir la nécessité impérieuse d'un changement fondamental et non pas d'être simplement convaincu par quelqu'un d'autre qu'il faudrait que vous changiez. Une description alléchante pourra vous aider à penser que ce changement doit avoir lieu, mais c'est une impression superficielle qui disparaîtra lorsque la stimulation cessera d'agir. Par contre, si vous percevez par vous-même l'importance d'une telle transformation, si vous prenez conscience, sans la moindre contrainte, sans motivation ni influence extérieure, qu'une modification fondamentale est essentielle, c'est ce sentiment qui en soi sera l'action nécessaire à cette transformation.

— Mais comment éprouver ce sentiment? demanda le commerçant?

Que voulez-vous dire par « comment »?

— Étant donné que je ne l'éprouve pas, comment puis-je le cultiver?

Est-ce là quelque chose que l'on puisse cultiver? Ce sentiment ne doit-il pas jaillir spontanément de votre perception directe de la nécessité absolue d'une transformation radicale? Le sentiment engendre ses propres moyens d'action. Par le raisonnement logique, vous pouvez arriver à la conclusion qu'un changement radical est nécessaire, mais une compréhension purement intellectuelle de cet ordre ne peut susciter l'action du changement.

— Pourquoi pas? demanda le vieil homme.

La compréhension intellectuelle n'est-elle pas une réponse superficielle? Vous entendez, vous raisonnez, mais la totalité de votre être ne participe pas. Votre esprit peut estimer en surface qu'un changement est nécessaire, mais la totalité de votre esprit n'accorde pas à ce fait une attention complète. Votre esprit est divisé.

— Cela veut-il dire que seule l'attention totale permet que ce changement radical ait lieu? demanda l'artiste.

Réfléchissons. Une partie de l'esprit est convaincue de la nécessité d'un changement, mais le reste de l'esprit est indifférent, par absence, torpeur, ou parce qu'il s'oppose Profondément à un tel changement. Le conflit qui en résulte et dans lequel la partie qui souhaite le changement essaie de triompher des autres parties, a pour nom discipline, sublimation, refoulement. On appelle également cela suivre un idéal. On essaie de jeter un pont sur la béance de la contradiction interne. Il y a l'idéal, cette compréhension intellectuelle ou théorique de la nécessité d'une transformation radicale, et le désir vague, mais réel, de ne pas être dérangé, l'envie de laisser les choses telles qu'elles sont, la peur du changement, de l'insécurité. De sorte que l'esprit est divisé. Et la poursuite d'un idéal n'est que la tentative de faire se rejoindre les deux parties opposées, ce qui est une impossibilité. Nous recherchons un idéal parce que cela ne nous demande aucune action immédiate: l'idéal est un ajournement délibéré et respecté de tous.

— Mais est-ce toujours une forme d'ajournement que de vouloir se changer soi-même? demanda l'employé de bureau.

N'en est-il pas ainsi? N'avez-vous pas remarqué que lorsque vous dites « j'essaierai de changer », vous n'en avez en définitive absolument pas l'intention? Vous changez ou vous ne changez pas ; essayer de changer ne veut pas dire grand-chose. Poursuivre un idéal, s'efforcer de changer, contraindre par l'action de la volonté les deux parties contradictoires de l'esprit à une réunification et appliquer pour ce faire une méthode ou une forme d'autodiscipline, et ainsi de suite - tout cela participe d'un effort inutile et illusoire qui fait obstacle, en réalité, à toute transformation fondamentale du centre, du moi, de l'ego.

— Je crois comprendre, déclara l'artiste. Nous flirtons avec l'idée du changement, mais nous ne changeons jamais. Car le changement demande une action énergique et unifiée.

Exactement. Et l'action unifiée ou intégrée ne peut avoir lieu tant que règne le conflit entre les parties opposées de l'esprit.

— Mais oui, c'est évident! s'écria l'employé de bureau. Si vastes que soient l'idéalisme, le raisonnement logique, les convictions et les conclusions, ils ne donneront jamais naissance au changement dont nous parlons. Mais alors, d'où viendra-t-il?

N'êtes-vous pas en train, en posant cette question-là, de faire obstacle à votre propre découverte de l'action du changement? Nous sommes si avides de résultats que nous ne nous arrêtons pas à ce que nous venons de découvrir comme étant vrai ou faux et passons immédiatement à la découverte d'un autre fait. Nous allons de l'avant sans avoir pleinement compris ce que nous venons de découvrir. Nous avons vu que ce ne sont pas le raisonnement ni les conclusions logiques qui engendreront le changement radical, cette transformation totale du centre. Mais avant de nous demander quel sera l'élément qui le suscitera, nous devons prendre conscience des stratagèmes utilisés par l'esprit pour se persuader que le changement est progressif et qu'il s'effectue grâce à la recherche d'un idéal, et ainsi de suite. Ayant découvert ce qu'il en était de la vérité ou de la fausseté de ce processus dans son entier, nous pouvons alors nous demander quel est le facteur qui déterminera ce changement radical. Voyons, qu'est-ce qui vous fait bouger, agir?

— N'importe quel sentiment puissant. Une colère intense me pousse à l'action ; je peux le regretter par la suite, mais la sensation provoque l'explosion agissante.

C'est-à-dire que l'action est faite par votre être tout entier. Vous oubliez le danger ou n'en tenez pas compte et vous perdez toute notion de sauvegarde personnelle, de sécurité. Ce sentiment est en soi action, il n'y pas d'intervalle entre la sensation et l'action. Cette distance résulte du processus dit de raisonnement, l'estimation du pour ou du contre qui repose sur vos propres convictions, vos préjugés, vos peurs et ainsi de suite. L'action devient alors politique, en ce qu'elle perd toute spontanéité, toute humanité. Ceux qui recherchent le pouvoir, pour eux-mêmes, leur mouvement ou leur pays, agissent de cette façon et cela ne peut qu'amener davantage de souffrance et de confusion.

— En fait, reprit l'employé de bureau, même le sentiment puissant de la nécessité d'un changement radical est vite étouffé par le raisonnement d'autoprotection, par le fait de penser à ce qui aurait lieu si un tel changement intervenait en nous, et ainsi de suite.

Et le sentiment est alors enfermé dans les idées et les mots, n'est-ce pas? Et une réaction contradictoire survient, qui naît du désir de n'être pas dérangé. Si tel est le cas, continuez comme auparavant. Ne vous mentez pas à vous-même en poursuivant un idéal, en prétendant que vous essayez de changer. Prendre conscience de cette vérité suffit en soi.

— Mais il se trouve que je veux réellement changer.

Dans ce cas, changez. Mais ne discourez pas sur la nécessité du changement, cela n'a aucun sens.

— A mon âge, dit le vieil homme, je n'ai plus rien à perdre au niveau matériel. Mais c'est une autre affaire que d'abandonner les idées et les conclusions anciennes. J'ai en tout cas conscience d'une chose: il ne pourra y avoir aucun changement fondamental sans que soit réveillé le sentiment profond de ce changement. Le raisonnement est nécessaire, mais ce n'est pas l'instrument de l'action. Savoir n'est pas nécessairement agir.

Mais l'action du sentiment est également celle du savoir, on ne peut pas les séparer. Elles ne sont divisées que si l'action naît de la raison, de la connaissance, de la conclusion ou de la croyance, et d'elles seules.

— Je commence à entrevoir cela de façon très claire, et ma connaissance des Écritures, en tant que base d'action, est déjà moins agissante.

L'action qui repose sur une quelconque autorité n'est pas l'action, elle n'est que répétition, imitation.

— Et la plupart d'entre nous sont pris dans ce processus. Mais on peut s'en échapper. J'ai énormément compris de choses, ce soir.

— Et moi aussi, dit l'artiste. Cette conversation m'a beaucoup stimulé, et je ne pense pas que cette stimulation soit suivie de réactions. J'ai très clairement distingué quelque chose et c'est cela que je vais rechercher, sans savoir où cela me mènera.

J'ai eu une vie respectable, dit le marchand, et la respectabilité ne débouche pas sur le changement, surtout je changement fondamental dont nous venons de parler, j'ai cultivé très sincèrement le désir idéaliste de changer, et d'avoir une vie plus véritablement religieuse. Mais je comprends maintenant que le fait de méditer sur la vie et sur les façons de changer est beaucoup plus essentiel.

— Puis-je ajouter un dernier mot? demanda le vieil homme. On ne médite pas sur la vie, car la méditation est en soi façon de vivre.

— Mais ce n'est pas l'amour qui fera marcher les machines, n'est-ce pas?

Commentaries on Living, Second Series
(Traduit en français sous le titre Commentaires
sur la vie, vol. III.
)



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