Wiki Krishnamurti
Advertisement
SOMMAIRE

J. Krishnamurti

Carnets

Traduit de l'anglais par Marie-Bertrande Maroger
et Béatrice Vieme pour l’édition augmentée
© Éditions du Rocher, 1988, 2010.


Paris, 20 septembre 1961  

LA journée avait été très chaude et l'air suffocant, dans cette grand salle pleine de monde (Lors de la causerie de la veille. C'était la septième, qui traitait surtout de la mort. Tout au début, il a poliment suggéré à son auditoire de ne pas prendre de notes.). Malgré cela, malgré la fatigue, éveil au milieu de la nuit ; l'« otherness » était dans la chambre. Il était là, intense, emplissant la pièce et s'étendant au-delà, il était aussi dans les profondeurs du cerveau, si profond qu'il semblait traverser, dépasser la pensée, l'espace, le temps. Incroyablement fort, d'une telle énergie qu'il était impossible de rester couché et, sur la terrasse, dans le souffle frais du vent, puissante dans son élan, son intensité s'est maintenue pendant presque une heure. Cela a continué toute la matinée. Ce n'est pas une illusion, le désir prenant cette forme de sensation plaisante ; la pensée ne l'a point construit à partir d'incidents passés ; aucune imagination ne saurait concevoir un tel « otherness ». Étrangement, c'est à chaque fois totalement nouveau, soudain, inattendu. La pensée, pour l'avoir essayé, comprend qu'elle n'a pas le pouvoir de rappeler ce qui a déjà eu lieu à d'autres reprises, pas plus que d'éveiller le souvenir des événements de ce matin. Ceci est au-delà de toute pensée, de tout désir, de toute imagination, c'est trop vaste pour qu'ils puissent le faire revenir, trop immense pour que le cerveau puisse l'évoquer à nouveau. Ce n'est pas une illusion.

Ce qu'il y a de plus curieux, c'est que l'on ne se sent même pas concerné ; il est indifférent qu'il survienne sans invite, ou ne survienne pas. On ne joue pas avec sa beauté et sa force, on ne l'invite pas, on ne le rejette pas. Il vient et repart à son gré.

Tôt ce matin, peu avant l'aurore, la méditation en qui tout effort a depuis longtemps cessé devint silence, un silence dénué de centre, donc de périphérie. Elle n'était que silence. Sans qualité, sans mouvement, sans hauteur ni profondeur. Absolument immobile. De cette immobilité douée d'un mouvement s'étendant à l'infini, que l'on ne pouvait mesurer ni dans le temps, ni dans l'espace. Immobilité explosive, s'étendant sans fin. Mais elle n'avait pas de centre ; en eut-elle un, elle n'aurait pas été l'immobilité, mais décomposition stagnante ; elle n'avait absolument rien à voir avec les complexités du cerveau. La qualité de calme que peut créer celui-ci diffère totalement du silence de ce matin. Silence que rien ne pouvait troubler, puisque sans résistance ; tout était en lui et il était au delà de toute chose. Le bruit des premiers camions de ravitaillement circulant au petit matin ne dérangeait en rien ce silence, pas plus que les faisceaux lumineux émis par la haute tour. Il était là, hors du temps.

Krishnamurti’s Notebook, 1975
(Traduit en français sous le titre Carnets. pp. 174-76)



 ✻ 



Paris, 20 septembre 1961  

AUSSI intelligemment éduqué et instruit soit-il, comme le cerveau est curieusement étriqué. [...] il peut se détruire, se recréer, mais restera toujours étriqué quoi qu'il fasse. C'est qu'il ne peut fonctionner que dans le temps et l'espace ; ses conceptions philosophiques sont limitées par son propre conditionnement ; ses théories et ses spéculations sont tramées par sa propre ruse. Quoiqu'il fasse il ne peut échapper à lui-même. [...] Sans cesse poursuivant ou poursuivi, son ombre est sa propre souffrance. [...] Jamais il ne dort, et ses rêves sont l'éveil de la pensée. [...] Il ne peut faire qu'une chose: être totalement, complètement tranquille. [...] Il devient étriqué quand il s'emploie à étudier l'inconnu, ce qui n'est pas mesurable. Sa fonction est dans le connu, il ne peut fonctionner dans l'inconnu. Ses créations étant du domaine du connu, il ne pourra jamais capter la création de l'inconnaissable, que ce soit par le mot ou par l'art. Il ne peut connaître la beauté.

Krishnamurti’s Notebook, 1975
(Traduit en français sous le titre Carnets. pp. 176-78)



Sommaire | Haut



Advertisement